Littérature jeunesse : quand facilité rime avec cliché

J’ai longuement hésité avant de me lancer dans la rédaction de cet article, visant à vous présenter mon retour de lecture de 5 des 6 romans reçus lors de la rentrée littéraire des éditions Auzou. Comme à l’accoutumée, je comptais rédiger un billet par livre ; à l’exception de L’épopée de Sem de Yann Rambaud, qui s’est prêté à l’exercice, les autres parutions se sont avérées trop creuses pour mériter une publication individuelle. Je me suis dit qu’un avis groupé serait l’occasion de vous présenter ma conception de la littérature jeunesse… Voici le débat lancé !

Les textes publiés chez Auzou sont Au cœur de la forêt, recueil de nouvelles collectif, Lilou – ma vie comme sur des roulettes, de Yaël Hassan, Mytho !, de Yaël Hassan et Pascal Brissy, et L’Homme-dragon, d’Éric Sanvoisin. Ma réflexion se nourrit également d’autres lectures entrant dans la catégorie littérature jeunesse, parmi lesquelles Cœur d’encre, de Cornelia Funke, et Oscar Pill, d’Eli Anderson. Ces romans ont en commun de s’adresser à des enfants d’une dizaine d’années et partagent pour moi les mêmes défauts : écriture simpliste, personnages clichés et intrigue prévisible.

On excuse souvent le manque de vocabulaire, l’utilisation d’un registre familier et la syntaxe simple en prétextant s’adresser à des enfants. D’un autre côté, les auteurs assurent ne pas adapter leur récit ou penser à leur public cible au moment de créer leurs histoires. Deux solutions à ce dilemme : soit ils ne disent pas l’entière vérité, soit ils n’ont pas de talent particulier pour l’écriture. Je rappelle que les contes de Perrault ou de Grimm, les fables de La Fontaine et les romans de la Comtesse de Ségur n’ont pas besoin d’adaptation pour être compris des jeunes lecteurs : si les enfants sont plus indulgents que des adultes, ils ne sont pas moins intelligents. Lourdeurs, répétitions et phrases orales ne rendent pas une histoire plus accessible : elles la polluent.

La palme des archétypes revient à Éric Sanvoisin et Eli Anderson. La quatrième de couverture de L’Homme-dragon suffit à résumer l’histoire dans ses moindres détails. Les héros sont bons, généreux et rebelles juste ce qu’il faut, les antagonistes cruels, dénués de réflexion et cupides. Même constat dans Oscar Pill, que je n’ai pu achever tant les personnages se comportaient de manière puérile. Quand ils ne sont pas prévisibles au dernier degré, ils versent dans l’outrancier, chez Cornelia Funke par exemple mais aussi dans Un si petit oiseau, de Marie Pavlenko, pourtant destiné à un public plus âgé. Aucune nuance dans les émotions, aucune lutte intérieure : chacun déborde de bons sentiments qui rendent ennuyeuse jusqu’à la plus terrible péripétie.

L’intrigue subit la même punition que le style, toujours sous le prétexte de rentrer dans la grande famille de la littérature jeunesse. À de rares exceptions près, on dresse pour les enfants un monde manichéen et dénué de complexité. Les romans qui leur sont destinés se veulent divertissants, dénués d’ambition littéraire ou poétique et ressassent des histoires déjà vues qui donnent lieu à une accumulation de clichés. Lilou et Mytho !, qui auraient pu déboucher sur une exploitation intéressante, cantonnent leur conclusion à la béatitude universelle. Le thème de la forêt imposé pour le recueil chez Auzou est assez révélateur : sur dix nouvelles, 3 sont post-apocalyptiques, 2 s’inscrivent dans la fantasy et 3 donnent dans le pathos facile. Dix auteurs véhiculent la même idée : la forêt est belle, incomprise et en danger. Aucun récit n’a su me surprendre, m’émouvoir ou me faire envisager la forêt sous un angle inédit.

La littérature jeunesse souffre pour moi d’un grand manque d’originalité. Habituer les enfants à lire des histoires aussi plates risque au mieux de les ennuyer, au pire de les rendre incapables d’apprécier une œuvre littéraire, faute d’avoir le vocabulaire pour la comprendre. Au lieu de développer leur imaginaire, de tels livres le réduisent, se gardant bien d’explorer des pistes imprévues ou contradictoires. Il est d’autant plus agaçant de voir que certains sont traduits (je pense notamment aux sagas d’aventures vétérinaires mièvres sur lesquelles je me suis endormie avec mes neveux de 8 ans) : comme si la production française ne comptait pas assez de banalités !

Je noircis quelque peu le tableau.  Heureusement de nombreux contre-exemples existent. Je citerai Harry Potter, de J.K. Rowling, qui en dépit d’une apparente simplicité est un texte efficace, dénué des lourdeurs que j’ai pu observer ailleurs et surtout, non prévisible. Si certains protagonistes sont moins ambivalents que d’autres, aucun n’a ce caractère parfait ou naïf que l’on retrouve trop souvent ailleurs, et l’histoire fait du neuf avec de l’ancien, non du plagiat simplifié. Un degré au-dessus, L’Histoire sans Fin, de Michael Ende, porte la fantasy au rang de quête littéraire et initiatique avec un brio inégalé. Dans le registre français, mentionnons La Passe-Miroir, de Christelle Dabos, qui a le mérite d’être original et bien écrit malgré quelques répétitions (j’attends d’avoir lu l’ensemble des tomes pour juger du reste).

Plus de 50 000 nouveautés sortent en France chaque année, quand près de 600 millions de livres se vendent, soit 10 par habitant (enfants compris). La littérature jeunesse fait partie des secteurs les plus productifs : mes lectures me font dire que la quantité prévaut sur la qualité. L’éditeur doit vendre pour survivre, ainsi va le monde ; nous sommes loin cependant de la beauté des mots, du sens des rimes, de la magie de la langue et de la force des lettres évoquées durant la soirée du 17 octobre 2019 à la Lucarne des Écrivains, à l’occasion de la sortie de L’Ultime mystère de Paris de Bernard Prou. On place au même niveau des auteurs médiocres et des écrivains talentueux : à l’image de la béatitude qu’elle met trop souvent en scène, la littérature jeunesse ne montre aucune nuance pour évaluer ses publications.

Vaut-il mieux lire un piètre livre que ne pas lire du tout ? La question se pose. À travers La Bibliothèque, je m’adresse tous les publics, mêlant les genres et les mondes à tel point qu’Hachette, bien qu’ayant apprécié Grandir, refuse de le publier, faute de cases pour le rendre accessible. Tant pis : j’estime que la qualité littéraire, indépendamment de l’originalité de l’histoire, est un pré-requis à toute publication éditoriale, y compris pour les enfants. Et vous, qu’en pensez-vous ? 🙂

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