Les genres littéraires : modèles ou carcans ?

Polar, science-fiction, romance, fantasy, témoignage, ce bref panel de genres littéraires évoque en chaque lecteur un schéma précis. Le polar implique l’enquête, la science-fiction des vaisseaux spatiaux ou des extra-terrestres. Qui lit de la romance s’attend à une histoire d’amour, tandis que la fantasy est prétexte à l’intervention de créatures imaginaires. Le témoignage est l’autre nom de l’autobiographie, et garant d’une histoire vraie. Que dire alors du genre littéraire par excellence, celui qui concoure au Goncourt, au Renaudot ou au Femina, et que la plupart des grandes maisons d’édition nomment « littérature » ? Si les autres genres ne sont pas de la littérature, que sont-ils ? Pour les grands esprits germanopratins, la réponse est à peine voilée : ce qui n’appartient pas au grand genre de la « littérature » est un produit de consommation dénué d’ambition littéraire.

Mais qu’appelle-t-on « littérature » ? De quel droit l’intelligentsia française limite-elle cette dénomination à un certain type de romans qui n’ont rien en commun si ce n’est d’être réalistes ? Le réalisme est lui aussi un genre, né au XIXème siècle et novateur en ce qu’il s’intéressait davantage à la vie quotidienne du peuple et à sa dure réalité, plutôt qu’aux grandes épopées et aux sentiments exacerbés qui étaient l’apanage des aristocrates. Aujourd’hui, ce genre littéraire n’est plus considéré comme tel : en France, il incarne désormais la seule « vraie » littérature. Adieu 1Q84 et Le Seigneur des Anneaux : il y a de la magie, du surnaturel, un autre monde, ce n’est pas « sérieux ». Les épopées de L’Iliade et L’Odyssée, écoutées puis lues par des millions de générations d’étudiants et de savants, sont bonnes pour les enfants : impossible de les prendre au sérieux, il y a de la magie. On ne parle même pas de La Princesse de Clèves ou des Liaisons Dangereuses : ces histoires d’amour sont réservées aux adolescentes…

Vous l’aurez compris, je n’aime pas les genres littéraires. Si ces catégories peuvent être pratiques pour classer les histoires autrement que par ordre alphabétique, elles ont le vilain défaut d’enfermer auteurs et lecteurs dans des conventions qui, d’artificielles, deviennent obligatoires. Il n’y a pas si longtemps, il n’existait que trois genres littéraires : le roman, le théâtre et la poésie. Aujourd’hui, la mode des catégories est telle que certaines maisons d’éditions n’hésitent pas à pousser plus loin encore la subdivision, créant ainsi des rubriques telles que dark fantasy, urban fantasy, space fantasy ou steampunk. Bientôt toute l’histoire sera déjà écrite, et seuls les noms des personnages changeront d’un livre à un autre ! En tant que lectrice, j’aime la surprise et la variété : je trouve profondément ennuyeux de lire un livre dont le résumé est si archétypique qu’on en déduit les moindres ressorts.

Autant en emporte le vent nous montre qu’une histoire d’amour peut être en même temps une critique de la société et un roman historique hautement réaliste. Philosophie, magie et roman d’apprentissage s’entremêlent sans fin dans Le mystère de la patience. La dystopie dépeinte dans 1984 fait partie des genres aujourd’hui réservés aux young adults : en 1516, quand Thomas More écrivit Utopie, il s’adressait aux penseurs les plus éminents de son temps. Toujours plus de livres, plus vite, plus cher, pour une « littérature » qui porte de moins en moins bien son nom, tant elle se conforme aux attentes de son public au lieu de les bousculer. Pour que les livres ne deviennent pas de simples objets de consommation, il faut qu’ils transcendent les catégories et ne soient réductibles à rien de déjà vu : c’est ce qui en fait des chefs d’œuvre.

S’inspirer du passé pour réinventer le présent, telle pourrait être la définition de la littérature. Hachette a refusé de publier Grandir parce qu’il mélangeait trop de genres littéraires, et visait par conséquent un public trop flou ; les deux nouvelles chroniques de Juste le temps d’un instant et des Livres Enchantés me confortent pourtant dans l’idée que La Bibliothèque peut toucher de nombreux lecteurs. Et vous, qu’en pensez-vous ? N’êtes-vous pas agacé par cette catégorisation croissante qui veut classer les romans comme on range les vêtements ? 🙂

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