Le miracle secret, de Jorge Luis Borges
Le miracle secret allie l’effet vertigineux d’une double mise en abyme à une passionnante réflexion sur le temps. On y partage les derniers instants d’un auteur tchèque condamné à mort, qui voit défiler dans sa tête, non sa vie, mais l’aboutissement de son œuvre. Destiné à être fusillé par les nazis, Jaromir Hladík supplie Dieu de lui accorder le temps de terminer sa pièce de théâtre : le lecteur est laissé seul juge de l’étrange accomplissement de ce désir. Quête absurde de la pureté littéraire, sort tragique d’un homme à jamais incompris, cette nouvelle de Jorge Luis Borges peut être lue de bien des manières et n’est pas sans rappeler Pierre Menard, auteur du Quichotte ou encore Les ruines circulaires.
Comment souvent chez Borges, Le miracle secret commence de manière terre à terre, énonçant l’état et l’existence de Jaromir Hladík, l’arrivée des nazis à Prague en 1939 puis l’arrestation du personnage grâce à d’anonymes délateurs et la décision de le faire fusiller pour l’exemple. De la terreur bien compréhensible de Hladík devant ce qui l’attend, le narrateur s’immisce peu à peu dans sa pensée pour glisser vers son désir obsessionnel d’achèvement littéraire. Sa pièce, nommée non sans ironie Les ennemis, parle d’un homme devenu fou qui revit à l’infini la même soirée paranoïaque.
Entre ces faits se glissent de nombreuses références mystiques, amenées par les rêves du protagoniste. S’imaginant d’abord l’un des pions d’une partie d’échecs géante et éternelle, Hladík se rêve ensuite dans la bibliothèque de Prague, où il touche dans un atlas le nom de Dieu. Le temps dont parle Le miracle secret est ici le temps de l’esprit, celui qu’aucun homme ne peut mesurer et dont nul n’est conscient, une éternité qui tient dans deux minutes. Frontières poreuses entre fiction et réalité, relativisation fantastique d’une pensée toute puissante, Borges invite ainsi en quelques pages son lecteur à prendre le temps d’arrêter le temps.
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Et vous, avez-vous lu Le miracle secret ? Qu’en avez-vous pensé ? J’ai été particulièrement sensible au désespoir de l’auteur condamné à mourir sans avoir terminé son chef d’œuvre, écrivain injustement privé de l’éternité littéraire qui se console dans l’achèvement intérieur de son texte. Cette démarche intellectuelle de la pensée qui dépasse la réalité pour se sauver elle-même est également évoquée, quoique dans un contexte différent, avec Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig… Sorti la même année que le texte de Borges 😉