Vivre : histoire d’une publication ratée

Vous avez travaillé d’arrache-pied sur votre manuscrit. C’est le deuxième livre que vous publiez. La première fois, en 2016, étant parfaitement inconnu(e) dans le monde des lettres, vous n’aviez fait aucune communication avant la sortie. Aujourd’hui, en septembre 2018, c’est différent : vous écrivez la suite d’une série, vous êtes attendu(e) par quelques fidèles lecteurs (et, vous l’espérez en dépit de vos chiffres de vente, par le monde entier, qui brûle de vous lire). Pour réussir la publication de votre roman, vous devez dès que possible annoncer le jour J, afin de provoquer un pic de vente sur Amazon qui vous propulsera dans le mythique top 100. Tout est prêt, vous maîtrisez les règles de typographie, la mise en page de Word, la conversion en e-pub avec Calibre et pourtant… Vous pouvez encore tout rater. Voici comment faire.

Premièrement, ajoutez un peu de piment dans le processus d’autopublication et mettez une carte dans votre livre. Envoyez vos piètres croquis à votre graphiste un mois avant la date de sortie prévue. Laissez mijoter quelques semaines, le temps qu’il donne vie à votre brouillon, puis redessinez par-dessus sa proposition. Gardez en tête qu’il peut lire dans vos pensées, et saura traduire vos pattes de mouche telles que vous les imaginez, en transformant les proportions, les échelles et les formes pour produire la carte parfaite. En vous y prenant correctement, vous deviez parvenir à perdre sept jours supplémentaires. Quand la carte est fin prête, insérez-la dans la page prévue à cet effet. Savourez l’angoisse qui monte : il vous reste une semaine avant la date officielle, et vous ne savez toujours pas ce que donnera le format papier. Votre carte sera-t-elle lisible ? Ressemblera-t-elle à un immonde amas de pixels ?

Allons, du courage ! Il est temps de finaliser la couverture. La première fois, vous étiez passé(e) par Createspace, vous aviez bataillé tout un week-end contre les pouces, les taxes et l’anglais. Depuis, Amazon a développé une autre interface pour le papier : Kindle Direct Publishing (KDP). Vous l’avez déjà utilisée pour la version e-book de votre précédent roman, elle est en français, il ne devrait y avoir aucun problème. Tout se passe bien jusqu’à l’étape de la couverture. Sur Createspace, vous pouviez charger deux images distinctes : une pour la première et une pour la quatrième de couverture. L’outil vous permettait alors de personnaliser le dos. Mais KDP ne dispose d’aucun modèle permettant d’insérer deux images ! Il faudrait que vous parveniez à n’en faire qu’une seule, dos compris, aux bonnes dimensions, en priant pour que rien ne déborde ni devant, ni derrière. Vous réessayez dix fois de charger vos deux images. Rien n’y fait, et les secondes s’écoulent impitoyablement…

Votre décision est prise : puisque KDP fait des siennes, vous retournez sur Createspace, et entreprenez à toute allure de publier votre roman sur cet outil plus complexe, mais déjà connu. Tout en avançant, vous hésitez, rien n’avance assez vite, et vos recherches échevelées vous ont fait atterrir sur une page d’aide qui propose de télécharger un modèle d’image sur lequel calibrer la totalité de votre couverture (dos compris). À force de l’utiliser, et grâce aux conseils de votre graphiste, vous commencez à maîtriser Photoshop. Une petite voix s’élève pendant que Createspace charge, charge, charge… Après tout, pourquoi pas ? Vous ne perdez rien à essayer. Aussitôt dit, aussitôt fait : en quelques minutes, vous avez réussi à faire une couverture complète, aux bonnes dimensions, prête à être insérée dans KDP. Vous vous y reprenez à plusieurs fois, mais finissez par obtenir un résultat satisfaisant.

Puisque vous avez le choix, autant en profiter : vous commandez une épreuve sur KDP et cinq sur Createspace. En effet, pendant la commande, vous notez que KDP insère une vilaine bande grise sur votre épreuve : pris dans un écheveau de réflexion vertigineux, vous imaginez que cette bande grise figurera sur tous vos exemplaires auteurs, qui seront donc absolument invendables en salon et en librairie. Vous savez que Createspace n’a pas cet inconvénient : pourquoi ne pas s’en servir comme imprimeur ? Sans publier votre roman sur la plateforme, vous pouvez vous contenter de commander des épreuves de temps à autre pour les vendre doucement (il sera temps de revoir votre stratégie lorsque vous vendrez plusieurs centaines d’exemplaires par mois). Le facteur fait son office, et les jours passent…

L’épreuve KDP arrive trois jours avant le jour J. Elle est parfaite, à l’exception de cette bande grise. Soulagé(e), vous tentez de valider la publication sur KDP. Mais là, horreur ! Un message vous somme de « corriger les erreurs en surbrillance ». Vous repassez désespérément sur chaque étape de publication, mais RIEN n’est en rouge, ni en surbrillance… Et il vous reste trois jours seulement ! Tant pis : vous écrivez à KDP, puis filez sur Createspace et validez la publication. Au moins, votre livre sera disponible à la date prévue (puisqu’il faut compter jusqu’à 72h de moulinette avant d’être sur le catalogue). Pendant une journée bénie, vous connaissez le bonheur. Une surprise supplémentaire vous attend : les épreuves Createspace sont arrivées plus tôt que prévu ! Vous les contemplez avec tendresse, puis cédez lentement à l’horreur, en constatant que vous avez choisi le mauvais format. Votre livre est trop haut et trop large d’un centimètre : les marges sont démesurées et irrégulières, il n’est pas du tout assorti à votre précédent roman…

Avant de céder à la panique, prenez le temps d’apprécier votre bêtise. Lisez la réponse de KDP, vous informant qu’il vous manquait simplement la validation dans l’outil de prévisualisation pour publier votre roman. Écrivez à toute berzingue : apprenez que Createspace ne peut plus changer le format de votre livre, irrémédiablement associé à votre ISBN. Délectez-vous d’une nouvelle réponse de KDP, vous informant que, votre ISBN étant déjà utilisé sur Createspace, vous ne pouvez pas vous en servir sur une autre plateforme. Faites supprimer votre livre de Createspace : ne paniquez pas quand, lisant trop vite, ils vous proposent d’effacer votre précédent roman, au lieu de ce deuxième tome maudit. Maintenez le cap alors que les jours passent, y compris le jour J. Délectez-vous de cette pensée : vous êtes incapable de donner une date de sortie pour votre format papier…

Comme vous relevez vos mails toutes les dix minutes, vous êtes immédiatement informé que Createspace a fini par effacer la moindre trace de votre erreur. Vous leur avez demandé confirmation : votre ISBN est libéré, vous pouvez publier sur KDP. Vous saisissez l’occasion pour apporter quelques modifications de dernière minute à votre manuscrit, et vogue la galère… Ou pas. Toujours et encore ce maudit message d’erreur. On vous répond que votre ISBN est utilisé par Createspace, que vous devez migrer votre livre… Vous avez beau répéter que vous l’avez fait supprimer, rien n’y fait. Faisant une croix sur ce numéro maudit, résolu à refaire votre dépôt légal et votre référencement en librairie, vous changez finalement d’ISBN. Alléluia ! Tout marche, et vous avez deux bonnes semaines de retard (voire trois) sur le planning prévu.

Félicitations ! Il y a fort à parier que la parution de votre livre ne déclenchera aucun pic de vente. Vous avez boudé Facebook et votre site pendant deux semaines. Le concours que vous organisez pour célébrer la sortie de votre roman s’essouffle ; au lieu d’un beau livre flambant neuf à remettre au vainqueur, vous êtes l’heureux possesseur de six épreuves invendables, que vous comptez abandonner honteusement, en pleine nuit, dans des boîtes à livre loin de chez vous. La carte vous a obligé à rajouter un fond perdu qui décale irrémédiablement toutes vos marges de quelques millimètres. Vous avez lamentablement raté la parution de votre livre, et vous avez dû réécrire tout l’article que vous aviez prévu de publier le jour J…

J’espère que cette histoire vous a éclairé(e) sur l’art et la manière de manquer la publication de votre roman. Malheureusement, vous ne pourrez plus appliquer mes précieux conseils : en effet, Createspace et KDP sont en train de fusionner. Il est devenu impossible de vous perdre entre les deux plateformes… Néanmoins, l’ingrédient essentiel demeure, qui sera sûr de vous faire échouer même si vous craignez de réussir : la panique ! 🙂

 

6 Comments

  1. Nathalie Bagadey
    4 Oct 2018

    Merci pour ce compte rendu honnête, qui va peut-être en aider d’autres et… on croise les doigts pour la prochaine publication !

    • Pauline Deysson
      5 Oct 2018

      Ravie que ce compte-rendu vous ait plu ! Je me suis dit qu’il valait mieux en rire, même si sur le coup j’avais plutôt envie de m’arracher les cheveux 🙂

  2. Sandra
    29 Sep 2018

    Ah! Ah! Vous me faites bien rire!!! Je vous souhaite plus de succès après la publication que vous en avez eu avant!!!

    • Pauline Deysson
      30 Sep 2018

      Je suis ravie de vous avoir fait rire ! Sur le coup ce n’était pas drôle, mais une partie de moi ne pouvait pas s’empêcher d’en rire tellement ça s’accumulait. 😉

  3. Jen
    29 Sep 2018

    Wow quelle mésaventure! Ça donne envie de s’arracher Les cheveux tout ça 😞

    • Pauline Deysson
      30 Sep 2018

      Oui, autant vous dire qu’il y a des nuits où je n’ai pas bien dormi ! Mais je me suis dit qu’il valait mieux en rire. Au moins maintenant, c’est du passé ! 🙂

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