Soirée fantastique à La Lucarne des Écrivains
Si vous aviez passé les portes de la librairie La Lucarne des Écrivains le samedi 7 mars vers 19h30, vous auriez participé à une étonnante soirée fantastique. Passés au crible des questions pénétrantes du libraire Armel Louis, Karima Djelid, Le Chroniqueur de la Tour et une certaine Pauline Deysson vous auraient tour à tour présenté leur univers et leur passion pour l’écriture. Pourquoi cependant rapprocher Winzry, aventure de cape et d’épée se déroulant sur un continent imaginaire, 1515-1519, parcours sinueux de François Ier en pleine Renaissance, et La Bibliothèque, conte philosophique où les rêves sont des livres dans lesquels chacun a le pouvoir d’entrer ? Parce que leur trois auteurs ont en commun d’avoir inventé des histoires hors du commun…
Au sens propre ! Que ce soit en créant un monde de toutes pièces, en réinventant l’Histoire ou en imaginant le futur, nos romans appartiennent, chacun à leur manière, à la grande famille de la fantasy. Un genre littéraire trop souvent rabaissé, confondu avec la littérature jeunesse ou décliné en une absurde infinité de sous-genres par les éditeurs de niche, genre qu’Armel Louis a bien voulu mettre à l’honneur le temps d’une soirée fantastique. Que raconte votre livre ? Se passe-t-il dans une planète du système solaire ? Pourquoi avoir choisi la fantasy plutôt que le réalisme ? Votre futur idéalisé contient-il des animaux domestiques ? Pourquoi écrivez-vous ? Autant de questions auxquels nous avons dû répondre, parfois avec des difficultés imprévues.
Si Karima était à l’aise pour parler de son roman, écrire s’avère tellement vital à ses yeux qu’elle ne s’est jamais posé la question du pourquoi. Le Chroniqueur de la Tour assume quant à lui la magie qu’il entremêle à l’Histoire, transformant les Florentins en elfes et les Suisses en nains, et recommande de lire ses livres sans trop s’interroger sur la réalité de ce qui y est décrit. Pour ma part, je considère qu’écrire est la seule action utile en ce bas monde : les histoires atteignent spatialement et temporellement plus de personnes que n’importe quoi d’autre, et sont à peu près la seule chose susceptible de faire réfléchir intelligemment les individus dont elles croisent le chemin. J’affectionne la fantasy car, bien qu’aimant lire les classiques et les romans réalistes, j’aurais l’impression en écrivant dans ces registres de raconter des choses ennuyeuses. J’estime aussi que la fantasy est un très bon moyen de réinventer le quotidien pour mieux le savourer.
Les lecteurs présents lors de cette soirée ont demandé quelques précisions sur la nature des livres-rêves dans la Bibliothèque. Ayant écrit mes songes pendant trois ans avant de me lancer dans cette saga, j’ai eu réponse à tout. Si les rêves sont des livres, que sont les cauchemars ? Il en existe deux types : les livres volontairement écrits pour être vécus par leur lecteur comme des événements tristes et effrayants, et les livres normaux que des lecteurs têtus persistent à interpréter de travers. Si un Bibliothécaire écrit mes rêves, comment puis-je rêver de personnes et de lieux que je suis seul à connaître ? Tout simplement parce que les rêves sont écrits dans un alphabet universel, mêlant des signes objectifs, imposés par l’auteur, et des signes subjectifs que chacun interprétera différemment. Les signes pouvant selon le cas désigner des personnages, des lieux ou des objets… Pour plus d’informations, n’hésitez pas à télécharger sur mon site l’extrait gratuit de Grandir, qui vous apprendra tout ce qu’il y a à savoir sur le fonctionnement de la Bibliothèque !
Armel Louis nous a enfin demandé pourquoi nous avions opté pour l’autoédition. Pour chacun d’entre nous, ce fut une résignation plutôt qu’un choix : le Chroniqueur de la Tour s’est décidé après avoir constaté que seuls 1% des manuscrits envoyés étaient publiés par les éditeurs traditionnels, et Karima Djelid a essuyé plusieurs refus avant de se lancer, des années plus tard. J’ai moi aussi tenté de séduire les éditeurs ; je n’étais pas peu fière que Pocket Jeunesse me donne des conseils personnalisés pour améliorer Grandir et que Hachette l’ait lu intégralement, mais jugé trop complexe à publier faute de public cible bien défini (qui, en effet, lirait un livre mêlant poésie, conte philosophique, fantasy et dystopie sur 5 tomes qui suivent une héroïne jusqu’à ses 35 ans ?).
Amazon est bien sûr sorti dans la conversation. Armel Louis nous a rappelé la position complexe des libraires sur le sujet de l’autoédition : quand 10 000 éditeurs existent en France pour 3000 librairies, de quel droit un libraire devrait-il accepter sur ses étals un auteur qui, s’il donne de son temps et une partie de son argent, ne prend pas le risque financier d’un éditeur ? D’un autre côté, le producteur d’un livre, c’est l’auteur, n’est-ce pas normal de mettre en avant une initiative indépendante, plutôt qu’un système commercial basé sur l’offre et la demande ? Je suis d’accord avec Armel pour conclure que la situation est loin d’être manichéenne, quel que soit le côté de la médaille. L’autoédition est bien le seul cas de figure où l’auteur perdra de l’argent pour le bénéfice du libraire et d’Amazon réunis ! Cela a au moins le mérite de rebattre les cartes et de pousser chaque intervenant de la chaîne du livre à se poser les bonnes questions.
♦
Je comprends aujourd’hui pourquoi les éditeurs ne publieront jamais La Bibliothèque en tant que premier roman. Une fois les cinq tomes achevés, j’écrirai une autre histoire, en un seul volume, et je retenterai ma chance. D’ici là, je multiplierai les partenariats qui sont l’occasion de belles rencontres et je serai heureuse si des libraires en bénéficient. Et vous, avez-vous déjà assisté à une soirée fantastique et littéraire ? Que pensez-vous de l’autoédition et des littératures de l’imaginaire ? 🙂
PS : avec toute cette agitation, j’ai failli oublier de vous dire qu’une nouvelle chronique venait de paraître sur Vivre. Pour la lire, rendez-vous sur You can read !