Poil de Carotte, de Jules Renard
Récit en partie autobiographique d’un enfant martyr, je voulais lire Poil de Carotte depuis une éternité. Qui ne connaît pas ce petit garçon roux, multipliant les ruses pour échapper à la maltraitance de sa mère Madame Lepic ? Tour à tour tragique, drôle et vindicatif, Jules Renard livre à travers ce texte un roman aux multiples facettes, que j’ai la chance d’avoir lu dans une édition illustrée par Poulbot. Derrière le style léger et efficace de l’auteur se cache un regard perçant sur les rouages d’une famille de son temps et les expériences qui forgent le caractère d’une vie.
Si François Lepic est le personnage principal de l’œuvre qui porte son nom, il n’en reste pas moins mis au même rang que son frère Félix, sa sœur Ernestine, ses parents et les domestiques : Poil de Carotte est en effet raconté d’un point de vue externe. Le narrateur laisse le lecteur seul juge de la personnalité de chacun : ainsi Poil de Carotte se révèle-t-il courageux, résilient et malin, tandis que Félix apparaît pleutre et paresseux, et Ernestine attentionnée mais égoïste. Surtout, le livre trace en creux le portrait du couple Lepic, entre un père lointain et une mère dont la cruauté injuste résulte peut-être d’un profond mal-être.
Les chapitres de Poil de Carotte, très courts, se succèdent au présent, sans chronologie objective : au lecteur de déduire l’âge du héros à chacun d’entre eux et de replacer les événements dans l’ordre. Composé majoritairement de dialogues, l’impression laissée par le texte en est d’autant plus vive. On voudrait que le narrateur réagisse, qu’il juge, qu’il condamne, mais c’est bien au lecteur, à tous les spectateurs de cette longue série d’abus, de distribuer les torts et les mérites. Plus que la méchanceté, c’est à mon avis l’indifférence qui dans cette triste histoire s’avère la plus grande coupable, desséchant les cœurs les uns après les autres.
♦
Et vous, avez-vous lu Poil de Carotte ? Qu’en avez-vous pensé ? J’ai été particulièrement intriguée par le chapitre « La Mie de pain », qui sous couvert d’une scène de ménage insolite reflète selon moi l’origine de tous les problèmes de la famille Lepic, et révèle une facette de la mère qui la démarque nettement de Folcoche dans Vipère au poing. Si jamais vous souhaitez le lire, le roman est désormais libre de droits et disponible gratuitement sur Wikisource !