Mr. Vertigo, de Paul Auster
Vous êtes orphelin. Vous avez neuf ans, vous vivez en compagnie d’une tante indifférente et d’un oncle qui ne s’intéresse à vous que pour vous frapper ou vous insulter. Un jour, alors que vous trainez dans la rue, un inconnu charismatique vous propose de le suivre pour apprendre à voler comme un oiseau et devenir riche. S’il ne tient pas parole, vous pourrez lui couper la tête avec une hache. Nombre d’entre nous auraient sûrement refusé cette étrange proposition, mais Walter Rawley l’accepte : ainsi commence Mr. Vertigo. Magique, tragique, burlesque, absurde, d’innombrables qualificatifs pourraient être attribués à ce roman qui sort des sentiers battus.
Mr. Vertigo est raconté du point de vue de Walter Rawley, qui nous informe dès la première ligne du succès de son pari : à douze ans, il a marché sur l’eau pour la première fois. Guidé, tancé, éprouvé par maître Yehudi, on ne peut s’empêcher de s’étonner de l’affection qui lie ces héros atypiques. Original, profondément juste et courageux, un tantinet manipulateur et prestidigitateur, maître Yehudi ne recule devant rien pour permettre à Walter de s’élancer dans les airs, même si certaines des 33 étapes qu’il doit subir relèvent plus de la torture gratuite que du rite d’initiation. À leurs côtés se tiennent Mère Sioux et Aesop, deux êtres blessés par la vie que Paul Auster met à profit pour rappeler le racisme ambiant de l’Amérique des années 20.
J’ai dévoré Mr. Vertigo. La présence du merveilleux n’empêche pas l’histoire de se dérouler de manière parfaitement réaliste : Walter a beau être capable de léviter à plusieurs mètres de haut, son don est avant tout mis à profit pour lui permettre ainsi qu’à ses proches de devenir riche. En creux se dessine toute une réflexion sur le capitalisme, sur ce qui fait la véritable richesse d’une vie et surtout le bonheur d’un individu. L’argent est une valeur relative et l’être humain, une créature aussi absurde que mystérieuse : tout est possible à qui sait rebondir, mais le bonheur n’est accessible qu’à ceux qui savent aimer. L’intelligence d’Aesop ne paraît pas moins magique que le don de lévitation de Walter, et l’un des plus vieux rêves de l’humanité se retrouve relégué au rang de spectacle de cirque dans la modernité. Mais après tout, le cirque ne fait-il pas partie des derniers lieux où le rêve soit permis ?
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Et vous, avez-vous lu Mr. Vertigo ? Qu’en avez-vous pensé ? J’aime assez ce genre que l’on appelle parfois réalisme magique, qui relativise la puissance du surnaturel et montre qu’aucune impossibilité n’est au-dessus de l’esprit humain. On le retrouve, exploité très différemment, dans Seul dans le noir, qui est le seul autre livre que j’ai lu de Paul Auster.