L’Ours est un écrivain comme les autres, d’Alain Kokor
Bande dessinée inspirée du roman éponyme de William Kotzwinkle, L’Ours est un écrivain comme les autres est tombé entre mes mains grâce à l’esprit avisé du hérisson de cheminée, correctrice inspirée et dessinatrice talentueuse. L’histoire s’ouvre avec l’incendie qui emporte dans ses flammes le manuscrit tout juste achevé d’un certain Arthur Bramhall. Deux pages plus loin et quelque temps plus tard, son deuxième écrit est dérobée par un ours. C’est le début d’un récit décalé, à la croisée de la fable et de la satire, où l’impossible est tellement crédible qu’il pourrait être réel.
Brusque et muet, l’ours qui voit dans le texte volé le moyen le plus sûr d’obtenir beaucoup de miel s’humanise au fil des planches. Après s’être trouvé des vêtements et un nom inspiré d’une marque de céréales, il développe son vocabulaire alors que, devenu la coqueluche de l’édition, il enchaîne les interviews à succès. Dans un parcours inverse, Arthur Bramhall se transforme en ermite. Parti dans la forêt en quête d’une nouvelle idée, il tombe finalement sur la tanière… d’un ours, où il se sent comme chez lui. Porté par le dessin à la fois simple et expressif d’Alain Kokor, L’Ours est un écrivain comme les autres se lit d’une traite.
Les couleurs orangées créent dès le départ une atmosphère à part, une réalité parallèle qui se confond rapidement avec notre quotidien. Dénonciation d’un milieu intellectuel sclérosé, aveugle et orgueilleux, où n’importe qui peut se faire passer pour n’importe quoi, Alain Kokor met tour à tour en scène éditeurs, journalistes et quidams, qui projettent leurs illusions sur le plantigrade placide. L’Ours est un écrivain comme les autres nous rappelle une double vérité. Pour créer un chef d’œuvre, il faut se faire ours, s’enfermer et hiberner jusqu’à l’aboutissement du texte ; pour être considéré comme un écrivain en revanche, la chance suffit et même la politesse est une option dont on peut se passer. Chaque lecteur projette sur le texte ses fantasmes et ses insuffisances, jusqu’à perdre le sens qui devrait être au centre de l’écriture.
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Et vous, avez-vous lu L’Ours est un écrivain comme les autres ? La version d’Alain Kokor est-elle fidèle au roman de William Kotzwinkle ? J’ai apprécié cette mise en abyme parodique qui laisse songeur sur la notion de littérature et d’écriture. Écrire revient-il à faire semblant de vivre ? Telle est la question que pose Arthur Bramhall… L’absurdité mise en exergue au fil de ce texte m’a quant à elle rappelé L’Homme qui savait la langue des serpents, d’Andrus Kivirähk.