Destruction d’un coeur, de Stefan Zweig
Il faut croire que Stefan Zweig n’a écrit que de bonnes histoires. Paru en 1927, Destruction d’un cœur ne fait pas exception à la règle. On y retrouve la passion à double tranchant coutumière de Zweig, cette déchirure émotionnelle qu’il transcende, intériorise, psychologise pour en faire un récit qui touche chaque lecteur au plus profond de lui-même. Ici, on se glisse dans la peau d’un vieil homme qui, durant un séjour dans un hôtel au Sud de la France, surprend sa fille, au milieu de la nuit, alors qu’elle sort de la chambre d’un inconnu. C’est le début pour lui d’une longue et solitaire descente aux enfers, qui lui coûtera ce qu’il a de plus cher.
Les personnages, peu nombreux, se résument à ce Salomonsohn très peu nommé, sa femme, sa fille et les trois hommes potentiellement amoureux d’elle. Presque tous anonymes, ces protagonistes sont envisagés à travers le point de vue du père. Son épouse semble une bourgeoise coquette et insensible, tandis que les hommes inconnus ont l’allure de galants parfumés et superficiels. Le plus intéressant reste sa fille, Erna, dont l’image bascule complètement au début de Destruction d’un cœur. Cette enfant pure, souriante, innocente prend dans le doute qui le ronge des allures de démone hypocrite, égoïste, belle et désirable comme une femme.
On ne saura finalement jamais le fin mot de l’histoire. Jusqu’où est allée Erna, avec quel homme ? Telle n’est pas la question. Le père envisage le pire, partout, chez tout le monde, et son cœur meurtri par cette haine et ces doutes qu’il ne parvient pas à exprimer s’éteint peu à peu. Le naufrage ou la destruction d’un cœur selon les traductions, tel est bien l’objet du récit de Stefan Zweig. Mais, plus que la tromperie supposée de sa fille, c’est la solitude, la vieillesse et une vie de labeurs qui minent cet homme, incapable d’ouvrir son cœur à ses proches. Jalousie, peur du ridicule, les sentiments s’entrelacent avec une complexité de haut vol jusqu’à la conclusion de cette terrible nouvelle.
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Et vous, avez-vous lu Destruction d’un cœur ? Qu’en avez-vous pensé ? C’est la nouvelle de Zweig qui m’a le plus émue jusqu’à présent. La justesse des mots, le rythme des phrases, tout dans le style de Zweig est très juste, et j’ai été profondément touchée par la souffrance silencieuse de ce vieil homme inconnu.