Amok, de Stefan Zweig

Amok est un terme dérivé du malais qui désigne à la fois une folie meurtrière aveugle et celui qui en est atteint. Survenant le plus souvent chez les hommes et résultant de conditions de vie sociale difficiles, il traduit un désir de vengeance violent qui prend fin avec la mort plus ou moins suicidaire de l’individu dont il s’empare. Quand je suis entrée dans le court roman éponyme de Stefan Zweig, j’ignorais totalement la signification de ce terme : il vous laisse deviner la teneur de l’histoire. À bord d’un navire, en pleine nuit, le narrateur écoute l’étrange récit d’un médecin qui a cédé à de noires pulsions après la requête inhabituellement formulée d’une inconnue. Violence, passion, maladie, mort, tels seront les thèmes évoqués au fil des pages de ce texte on ne peut plus noir.

Je ne me suis pas sentie à ma place en lisant Amok. D’abord contrainte de partager le point de vue du narrateur, je me suis laissée happer par les paroles du médecin. Si j’ai compris sa solitude et l’humiliation qu’il a éprouvée suite à la demande de la femme européenne, j’ai moins adhéré à son attitude masochiste en général, qui consiste à se laisser sans cesse berner par les femmes, et j’ai été gênée par le racisme ambiant, même s’il s’agit d’un trait colonialiste courant de l’époque. Vus à travers le prisme de ce personnage hors-normes dont la souffrance et la folie occupent toute la place, les autres protagonistes paraissent bien fades, y compris la femme à l’origine de la tragédie. Plus que dans les événements en eux-mêmes, l’action est surtout condensée dans les pensées d’un esprit dérangé et frustré.

Comme dans Le Marchand de sable, Amok met en scène un esprit torturé qui devient victime de ses illusions. La violence des sentiments qui s’emparent du médecin se ressent jusque dans l’emploi des temps, les moments de folie paroxystique étant décrits au présent, plutôt qu’au passé de la narration. S’agissant d’un récit rapporté, le médecin s’interrompt régulièrement auprès du narrateur, rattrapé par la honte, ou le remords, tout en demeurant résolu sur l’objectif de son voyage et la fin de sa folie. C’est l’histoire de l’homme dans tout son mystère, dans toute sa démesure, dans toute son hybris, pour reprendre un terme hérité des Grecs : une tragédie absurde, qui aurait pu aisément être évitée. C’est aussi le miroir de conventions sociales qui tentent de se maintenir en vain dans la sauvagerie de la jungle où l’humain redevient animal.

Les dernières pages d’Amok, où la folie retombe peu à peu, m’ont davantage émue que le début, où elle commence : j’ai trouvé les paroles du médecin sur la mort et la souffrance criantes de vérité, et j’ai vibré avec lui jusqu’à la fin. Je regrette seulement que les soupçons et suppositions qui s’échafaudent autour de la femme inconnue restent du domaine du mondain et du convenu. La narration interne, où seuls certains personnages révèlent leurs pensées tandis que l’on doit deviner celles des autres, n’est jamais utilisée dans La Bibliothèque ; ma créatrice et moi avons toutes deux un faible pour la narration plus ou moins omnisciente et faisons en sorte que chaque personnage ait l’occasion de se révéler, notamment à travers le dialogue. Le récit à la première personne demeure une piste à explorer pour nos prochaines créations… Et vous, avez-vous lu Amok ? Qu’en avez-vous pensé ? »

Émilie – Apprentie Bibliothécaire

 

Couverture d'Amok

« J’aime assez cette couverture qui montre bien le contraste entre l’apparente maîtrise de la modernité et la sauvagerie latente, qui n’attend qu’un contexte propice pour s’exprimer et tourne autour d’un désir sans cesse refoulé. »

Dessin sur le thème de l'amok

« Dans un autre registre, ce dessin figuratif autour de la notion d’amok montre bien la déconstruction psychique qu’implique cet état. »

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