Rencontre Babelio avec Marie Pavlenko
Chose promise, chose due ! En ce jeudi 7 février 2019, je me suis rendue pour la première fois dans les locaux de Babelio à Paris, pour rencontrer Marie Pavlenko. Nous étions une vingtaine de lectrices, d’âge variable, à avoir postulé pour lire en avant-première Un si petit oiseau, dernier roman de cet auteur que je connaissais sans le savoir à travers Le Livre de Saskia (feuilleté dans le cadre d’une opération massive d’examen de la concurrence). Bien que consternée par la qualité littéraire d’Un si petit oiseau, je restais curieuse d’en rencontrer la créatrice, et de participer à une soirée Babelio. Il ressort de cette interview un bilan à double tranchant : si j’ai adoré assister à cet échange, je suis loin d’être d’accord avec ce qui a été dit.
La mère de Marie Pavlenko ayant perdu son bras dans un accident de voiture, les questions ont principalement tourné autour de la véracité du livre. Malheureusement, perdre un bras ne suffit pas à faire un roman et, en dépit de ce que semble penser l’auteur, il y a bien pire dans la vie, sans avoir besoin de remonter jusqu’en 1914. En Afrique on excise les femmes, en Asie les enfants sautent sur des mines, partout dans le monde, on meurt de manière prématurée, de mille et une manières plus détestables les unes que les autres. Perdre un bras complique la vie, oui, mais dire que ce handicap était plus facile à vivre dans les années 1920 à cause de l’omniprésence des gueules cassées relève d’une grande ignorance. D’autant qu’à l’époque, les bras électroniques n’existaient pas, et les assurances ne compensaient pas le préjudice comme aujourd’hui : un atout financier non négligeable qu’Un si petit oiseau se garde bien d’évoquer.
Quant à la résilience, Marie Pavlenko adore les oiseaux, et écoute de nombreuses conférences sur les bienfaits de la nature. Elle a donc naturellement fait grimper son personnage en montagne : il lui a suffi de respirer l’air pur, de voir un gypaète barbu et de trouver l’amour pour se sentir mieux. Je suis loin de réfuter les grandes qualités de Gaïa, mais encore une fois cela ne fait pas un roman, pas plus que la perte d’un bras ne crée un personnage exceptionnel. Le choix d’un protagoniste jeune, au seuil de l’avenir, permettait d’ajouter le drame de l’espoir perdu à celui du quotidien à reconstruire. Toutes ces informations me confortent dans mon impression de lecture : Un si petit oiseau est dénué de recherche littéraire.
Marie Pavlenko a volontairement entouré son personnage d’une famille aimante, « sinon, cela aurait été trop atroce ». J’ai appris avec un certain soulagement que d’autres lecteurs trouvaient la tante « vulgaire », toutefois l’auteur préfère parler de « force », de « flot d’énergie » qui porte la famille, aussi bien émotionnellement que financièrement. Je connais de nombreuses personnes d’une grande force d’âme, et aucune n’est d’une aussi invraisemblable lourdeur… La naïveté de Marie Pavlenko n’en démord pas. « Il faut se montrer bienveillant, car le monde manque cruellement de bienveillance », déclare-t-elle. Mais peut-être que le monde n’est pas bienveillant. Peut-être qu’avoir des mois entiers à sa disposition pour se pleurer dessus représente un luxe qu’une partie de la planète n’a pas.
Je suis un peu dure car ce cruel manque de relativisation m’agace, et m’agace d’autant plus quand une lectrice parle de cette « immense et sublime leçon de vie » que représente pour elle Un si petit oiseau. Que dire alors d’Helen Keller, devenue aveugle, sourde et muette à un an et demi ? Lire est censé ouvrir des portes, non enfoncer des portes ouvertes. Le roman de Marie Pavlenko est à la croisée de la catharsis personnelle et de l’émerveillement naïf devant la beauté de la vie. Malheureusement, les bonnes intentions ne font pas les bons livres et, lorsque la vie est belle, il n’y a pas d’histoire : il en va ainsi dans ce roman où, malgré la perte d’un bras, le quotidien reste trop parfait pour mériter d’être conté.
Marie Pavlenko a écrit un livre qui se veut positif : tant mieux s’il fait vibrer certaines personnes, et s’il peut redonner espoir aux enfants belges de l’hôpital dans lequel une lectrice a laissé son exemplaire. Certains détails du quotidien d’Un si petit oiseau sentent le vécu et montrent bien en quoi des petits riens, tels que se faire une tartine ou nouer ses lacets, peuvent devenir compliqués avec un bras en moins (exception faite de la lecture à une main, qui pour moi ne nécessite pas de pince à linge). Je déplore surtout que la presse parle d’une plume « belle et souple », et s’extasie devant ce « roman généreux et difficile à reposer » où « tout sonne juste » : comme si le seul fait de parler du handicap, même en écrivant de manière rudimentaire, relevait du génie.
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Inutile de vous dire que je n’ai pas fait dédicacer mon exemplaire. Je n’avais pas non plus préparé de questions. Faute d’y adhérer, j’ai appliqué le principe de bienveillance et me suis tue toute la soirée. Je sais aujourd’hui que Babelio propose de nombreuses rencontres avec des auteurs : je ne postule plus sans analyse préalable, et je me garde bien des sirènes de la louange aveugle. Et vous, avez-vous déjà assisté à l’interview d’un auteur ? Quel souvenir en gardez-vous ? 🙂
Très, très bon commentaire Pauline, non dithyrambique et non commercial comme on le constate souvent ou voire l’inverse si l’auteur n’est pas dans les petits papiers du journaliste. Votre commentaire paraît sincère d’un bout à l’autre et je le trouve je vous l’avoue bien rafraîchissant.
Merci à vous Jacky, j’ai hésité à publier cet article et je suis très heureuse qu’il vous ait plu. Je me suis efforcée d’être la plus honnête possible, sans pour autant verser dans la critique ad hominem : je suis ravie que le pari vous semble réussi.