Raison et sentiments, de Jane Austen

Comme de nombreuses personnes, j’ai lu Raison et sentiments après avoir dévoré Orgueil et préjugés. Je l’avais trouvé lent et bien fade en comparaison : c’est donc avec une curiosité renouvelée que j’ai décidé de le relire, après l’avoir quasi intégralement oublié. À travers les mésaventures de la sage Elinor et de l’impétueuse Marianne, contraintes par leur époque à trouver un époux afin de s’épanouir, j’ai redécouvert une satire sociale d’une grande finesse, doublée d’une analyse très juste du délicat équilibre entre la rationalité et les émotions. Les difficultés pécuniaires qui limitent les ambitions des sœurs Dashwood donnent à Jane Austen l’occasion de se livrer à un examen sans concessions de la petite bourgeoisie de son temps.

Raison et sentiments s’est d’abord appelé Elinor et Marianne : c’est dire à quel point le titre du roman incarne les caractéristiques principales de ses deux héroïnes. Cependant, Elinor n’est pas dénuée d’émotions ni Marianne de raison. Seul l’extrême de ces pôles est condamnable : il s’incarne dans une infinité d’exemples et de degrés à travers la multitude de personnages secondaires qui gravitent autour des demoiselles Dashwood. Grandes dames égoïstes dont seuls les flatteurs s’attirent les grâces, voisins ne vivant que par les commérages, maris potentiels dont le caractère se laisse difficilement deviner, c’est tout le microcosme du lien social qui se voit disséqué sous la plume ironique de Jane Austen, avec son hypocrisie, ses présomptions, sa vacuité mais aussi, parfois, ses bonnes surprises.

Bien qu’il s’agisse du premier roman de l’auteur, Raison et sentiments m’a paru plus mature qu’Orgueil et préjugés. Le sort final des protagonistes est bien loin de la résolution somme toute assez romantique de l’histoire d’Elizabeth et de Jane Bennet. La situation sociale et financière de la famille Dashwood est sans cesse portée aux yeux du lecteur dans toute sa complexité, et l’objet du roman n’est pas tant de donner à voir les interactions amoureuses des couples que de faire réfléchir sur l’équilibre entre fortune et bonheur domestique. Les émotions s’avèrent relativisées avec une modernité insoupçonnée : même si les contraintes sociales de l’Angleterre du XVIIIème siècle ont disparu, il reste toujours aussi essentiel de modérer ses humeurs, de se donner le temps de l’analyse et de rester poli autant que faire se peut… Plus encore qu’entre raison et sentiments, c’est entre compromis et résolution qu’il faut parvenir à se frayer un chemin, pour atteindre un bonheur pérenne.

Et vous, avez-vous lu Raison et sentiments ? Qu’en avez-vous pensé ? J’ai été laissée quelque peu sur ma faim par le mariage de Marianne, qui s’il a du sens n’en reste pas moins amené d’une manière insolite par rapport à son caractère. Je n’en ai pas moins apprécié son évolution, car je trouvais profondément agaçant de la voir sans cesse céder à ses émotions échevelées !

 

Illustration de C.E. Brock pour Raison et sentiments

Cette scène emblématique de C.E. Brock résumerait presque à elle seule Raison et sentiments : invitation aux suppositions les plus romanesques, elle rappelle aussi qu’il faut se garder des apparences…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Par ici, lecteur !

Cet article vous a plu ? Parlez-en autour de vous !