La Peur, de Stefan Zweig

Court roman paru en 1920, La Peur réinvente l’histoire mille fois contée de l’adultère. Irène trompe son époux par divertissement plus que par conviction : le texte s’ouvre alors qu’en prenant congé de son amant, elle se fait surprendre par une inconnue qui lui adresse de violents reproches et finit par lui extorquer de l’argent. Un chantage malsain s’installe bientôt. Traquée, Irène s’enfonce peu à peu dans une peur permanente, redoutant que son mari apprenne la vérité et que la honte s’abatte sur son existence de bourgeoise bien rangée. Comme toujours, Stefan Zweig tire d’un scénario simple une histoire haletante, angoissante et poignante, où se dévoilent tous les rouages d’un cœur qu’un œil extérieur de l’époque condamnerait sans appel.

La Peur fait entrer le lecteur dans le quotidien d’Irène, trentenaire dont les pensées constituent le centre du livre. Autour d’elle gravite une famille tout ce qu’il y a de plus classique : son mari avocat, leurs deux enfants et les domestiques de la maison. À l’arrière-plan, dans la rue, l’attendent son amant pianiste qu’elle finit par renier violemment, et surtout la femme qui l’a surprise et la poursuit jusque chez elle. Deux univers qui s’opposent et constituent le quotidien d’Irène, entre la routine ennuyeuse d’une vie de famille heureuse et le piment de l’aventure que représente la transgression. Au fur et à mesure que la peur s’immisce en elle et empoisonne tout ce qu’elle tenait pour acquis, Irène connaît une profonde remise en question, et s’aperçoit avec horreur qu’elle ne connaît pas l’homme qu’elle a épousé, bien qu’elle partage sa vie depuis plusieurs années.

La Peur est l’un des romans les plus percutants que je connaisse. En quelques lignes, Stefan Zweig nous plonge dans une psyché qui pourrait être la nôtre et met en scène l’un drames les plus terribles qui soient, d’autant plus atroce qu’il est insidieux et muet. Plus qu’un simple isolement du quotidien, Irène voit sa vie lui échapper jusque dans ses moindres détails, par sa faute et pour rien. Victime d’une lubie d’adolescente romantique, c’est aussi la jeune fille en elle qui devient adulte et prend conscience de la fragilité d’un bonheur qu’elle n’a pas su savourer. Dans le titre original du roman, l’absence d’article devant le terme « peur » érige ce sentiment en personnage à part entière, incarnant l’ascendant que cette émotion finit par prendre sur Irène. Une montée en puissance dont l’ironie tragique triomphe à la fin du récit, dans une chute qui laisse le lecteur aussi stupéfait que l’héroïne.

Et vous, avez-vous lu La Peur ? Qu’en avez-vous pensé ? Vous attendiez-vous à la fin ? J’ai été très surprise par ce dénouement, qui incarne à sa manière le passage du dix-neuvième au vingtième siècle, de la prééminence des normes sociales à celle de l’esprit et du cœur. J’ai surtout été fascinée par l’attitude d’Irène, si résolument humaine et dénuée de logique, paroxystique, entière et pourtant triviale.

 

Le Cri, d'Edvard Munch

Le Cri de Munch illustre parfaitement La Peur : on y retrouve la solitude et l’angoisse d’une détresse que personne n’entend.

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